Publié le 2 février 2023
Pour sortir d’ « un jour de crise sans fin », Emmanuel Macron, face aux acteurs de la santé le 6 janvier 2023, annonce d’importantes mesures pour pallier aux difficultés du secteur. Pourtant, le collectif « Médecins Pour Demain », actif depuis septembre, poursuit ses revendications. Que propose le collectif pour éteindre l’incendie qui touche le secteur de la santé?
« Notre système de santé est malade » déplore le Dr Benoit Coulon, médecin généraliste installé depuis 1998 à Besançon. Il a rejoint le collectif un mois après son lancement. Aux côtés de 17 000 médecins généralistes et spécialistes, il plaide pour une revalorisation de la consultation de base de 25€ à 50€. Mais les annonces du Président lors de ses voeux aux acteurs de la santé ont relancé le bras de fer entre le gouvernement et les médecins libéraux. Essayons de comprendre la crise du système de santé grâce au regard d’un acteur au cœur même de ce système.
Pourquoi avez-vous rejoint ce collectif en octobre 2022 ?
Il y a un ras-le-bol général de la façon dont on est considérés, nous, médecins généralistes. Et plus largement, il y a une très grande souffrance qui est unanimement partagée par tous ceux qui participent de plus ou moins près à la santé en France. C’est assez édifiant de voir à quel point notre système de santé est malade.
Les médecins généralistes n’étaient pas conviés aux vœux du Président. Qu’est-ce cela traduit ?
Un mépris vis-à-vis de la médecine libérale et un mépris envers une profession qu’il ne connaît pas. Il ne voit pas l’utilité de la médecine générale alors qu’on l’estime indispensable. Il faut absolument mettre dans la santé plus de moyens.
Le Président a pourtant déclaré : « En trois ans, le budget que notre nation consacre à la santé a augmenté de 50 milliards ». Cela ne suffit donc pas ?
Certains à l’hôpital vont toucher 50€ à 100€ de plus par mois mais ce n’est pas ce qui est réclamé à l’hôpital, ni par notre collectif. Les hospitaliers réclament plus de bras pour faire tourner des services. Nous, on réclame qu’il y ait plus d’attractivité pour les métiers. C’est pour cela qu’on réclame une augmentation de la consultation. On souhaite aussi se décharger de la partie administrative et se concentrer sur la partie médicale. De toute part, ce qui est réclamé, c’est de la reconnaissance. Nous réclamons tous de pouvoir mieux faire notre boulot, en accordant un peu plus de temps individuellement à chaque patient.
Comment faire pour que les personnels de santé aient plus de temps à accorder à leurs patients ?
Au niveau de la médecine générale, on réclame une augmentation de la consultation pour pouvoir embaucher des assistants médicaux et des secrétaires (pour ceux qui n’en n’ont pas). Cela permettrait de se décharger de la partie administrative pour se concentrer sur la partie médicale. D’une manière générale, à l’hôpital, ils réclament plus de monde dans les services.
Avec la proposition du Président d’augmenter de 4 000 à 10 000 le nombre d’assistants médicaux, nous allons donc vers la bonne voie…
Pour les assistants médicaux, on dit “Banco” ! Mais ils sont surtout aux côtés des spécialistes, beaucoup moins pour les généralistes. C’est tout de même un élément positif à condition qu’il y ait une visibilité financière sur le moyen-long terme. D’où la logique que l’on défend : augmenter la consultation pour avoir une visibilité au niveau du tarif de la consultation plutôt que recevoir des aides versées par la sécurité sociale ré-évaluables années après années. Il y a tout de même un risque: le développement des infirmiers en pratique avancée (IPA)*, en parallèle, qui voient des malades à notre place. C’est la Loi Rist** pour laquelle tout le monde de la santé est en colère. L’Ordre des médecins a émis un avis défavorable. Les patients ont droit à un diagnostic médical. Voir un infirmier à la place du médecin, c’est une idée qui peut être dangereuse.
* Infirmier avec des compétences élargies, jusque-là dévolues aux seuls médecins.
** Proposition de loi de la députée Renaissance Stéphanie Rist, adoptée le 19 janvier en première lecture à l’Assemblée nationale. Son but, ouvrir l’“accès direct” aux IPA et autres professionnels de santé (ex. orthophonistes, kinésithérapeutes…) dans le cadre d’un “exercice coordonné” pour que les patients puissent se rendre directement chez ces professionnels, sans prendre rendez-vous chez le médecin au préalable. Les médecins critiquent cette loi affirmant qu’elle conduit à une baisse de la qualité des soins.
Si vous aviez été à la place du Président, quelles auraient été vos annonces ?
Ma première mesure aurait été de donner l’opportunité aux hôpitaux d’embaucher du personnel tout en réduisant la part administrative. La deuxième mesure serait de supprimer les ARS* (Agences régionales de Santé), qui ont prouvé leur inutilité et inefficacité pendant le Covid. Elles sont chargées de tailler dans les dépenses mais pas de gérer les crises. Or, il y a des services redondants avec les préfectures, qui elles, savent gérer les crises. Remettre au sein des préfectures les services qui font des doublons avec les ARS serait plus intéressant. Troisième mesure : une mesure choc d’attractivité en revalorisant la médecine de proximité et en essayant d’attirer les jeunes médecins pour lutter contre les déserts médicaux.
* Agence chargée d’assurer un pilotage unifié de la santé en région, de mieux répondre aux besoins de la population et d’accroître l’efficacité du système de santé.
Pourquoi le Président ne les met-il pas en place ?
Le Président s’appuie beaucoup sur les ARS d’une part pour des raisons de coûts. Mais, c’est un étage administratif qui coûte de l’argent au détriment des soins humains. D’autre part, la revalorisation est un message symbolique aux médecins leur disant « Vous êtes importants, nous avons besoin de vous et nous allons vous donner les moyens de mieux exercer votre métier ».
Pensez-vous que l’incendie à l’hôpital et dans la médecine de ville pourra s’éteindre ?
La vitesse de propagation du mouvement souligne le malaise et le ras-le-bol dans la profession. Mais c’est un combat de longue haleine… 20% des médecins ont plus de 65 ans.. 10 000 médecins vont donc arriver en retraite. De nombreuses femmes médecins sont aussi prêtes à jeter l’éponge et faire autre chose. D’autres médecins s’expatrient. Parmi les jeunes, 10% seulement s’installent. La projection des 6 000 médecins de moins dans 6 à 8 ans, est une erreur. Ce sera le double ou le triple d’où notre combat pour empêcher une médecine sans médecin.
Rédactrice : Enza Benocci
Sources : Propos du Docteur Coulon recueillis le 26 janvier 2023 |